Les orgues du Val d'Oise

Louis Eugène-Rochesson, facteur d'orgues Pontoisien

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Au cours du 20e siècle, un atelier de facture d'orgue était présent à Pontoise, rue de Gisors : celui de Louis Eugène dit Rochesson, né en 1897 à Sèvres. Ami de Paul Brunold, le très scrupuleux organiste de Saint-Gervais, il travailla en association avec Fernand Prince, l'un des meilleurs harmonistes de l'histoire de l'orgue, à partir de la restauration de l'orgue Crespin Carlier de l'ancienne église Saint-Nicaise de Rouen. Bien sûr, les instruments pontoisiens fréquentèrent ses ateliers, mais davantage après la seconde guerre mondiale (Prince était alors décédé depuis un moment, terrassé par une grippe en 1932).

En 1942, Louis Eugène-Rochesson démonte l'orgue de salon Mutin (augmenté par Gonzalez) de Gaston Bélier, organiste de Saint-Maclou décédé en 1938, et le place dans une chapelle latérale de l'église afin de faire office d'orgue de chœur, l'ancien ayant disparu dans un bombardement. Le petit Mutin sera transféré (et légèrement modifié) dans la nouvelle église Saint-Pierre en 1998 par Marc Hedelin.

Pontoise, église Notre-Dame (1945)

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L'orgue classique ayant disparu depuis une quarantaine d'années, c'est un Anneessens pneumatique que restaure Rochesson à la fin de la guerre. Au programme : électrification, modification de jeux (on n'a pas retrouvé la composition d'origine, mais les mutations du GO et le Plein-Jeu du Récit ne sont probablement pas d'Anneessens, qui avait probablement placé un Violon 8 au GO). L'instrument est actuellement en panne, et on projette de remplacer la partie instrumentale à neuf dans l'esthétique française 17e, jugée plus en accord avec le buffet...


Pontoise, cathédrale Saint-Maclou (1949)

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Après Notre-Dame, le facteur Pontoisien s'occupe de l'autre grand instrument de la ville. Le Cavaillé-Coll de 1878 est alors dans la disposition laissée par Victor Gonzalez en 1932, avec un énorme Récit, dont certains jeux ont été placés dans le soubassement faute de place. Ici, Rochesson va réorganiser le Récit et refaire la traction des jeux ajoutés par Gonzalez, en ajoutant des dominos en fronton. Il va également refaire les dessus de la Trompette du Positif et ajouter un Piccolo à ce clavier. L'harmonie sera effectuée par Jean Perroux, un autre ancien harmoniste de Cavaillé-Coll, et l'inauguration assurée par Marcel Dupré. L'orgue sera par la suite redisposé sur 4 claviers par Georges Danion, avec traction mécanique "à rubans" pour les notes, traction électrique pour les jeux. Plusieurs jeux du Récit seront utilisés pour le nouveau clavier d'Écho, placé "en fenêtre" dans le soubassement. Évidemment, plusieurs jeux symphoniques seront supprimés (Gambe du GO remplacée par l'ancien Piccolo du Positif) ou réharmonisés (Flûtes du Récit recoupées, Gambe du même clavier "adoucie"). O tempora, o mores...


On mentionne également un relevage de l'orgue de Beaumont-sur-Oise en 1951, avec peut-être le remplacement d'un Nasard par une Doublette. Cet instrument romantique de facteur inconnu placé dans un buffet plus ancien est aujourd'hui injouable.

Pontoise, chapelle de l'école Saint-Martin-de-France (1954)

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Le seul orgue intégralement construit par Louis Eugène-Rochesson à Pontoise, inauguré par Jean Langlais. L'instrument est agrandi en 1972 par les établissements Beuchet-Debierre, qui conservent quasiment toute la tuyauterie d'origine (de récupération du 19e siècle). Il est à rapprocher du Convers de Belloy-en-France (lui aussi augmenté par Beuchet), dont c'est en quelque sorte la version électropneumatique. Dans la même esthétique, mais plus homogène car construit à neuf, il y a le Beuchet-Debierre d'Ermont, Saint Flaive.


Outre tous ces travaux, Rochesson est l'auteur d'une monographie (1918) sur l'orgue de Saint-Maclou de Pontoise, qu'on peut consulter ici. Il s'agit de la première partie de son ouvrage La facture d'orgue étudiée au point de vue Technique, Esthétique et Critique avec Documents, la deuxième partie étant consacrée au Grand-Orgue de la Cathédrale de Beauvais. Rochesson participera par la suite à la revue L'Orgue et les Organistes initiée par Jean Huré, et rédigera un article sur l'orgue de Beauvais et sa restauration par Gutschenritter.

On ne pourrait conclure cette page sans évoquer le chef d’œuvre de Louis Eugène-Rochesson, à savoir le Grand-Orgue de l'église Saint-Nicaise de Rouen. Nous évoquions plus haut l'ancien orgue de Saint-Nicaise, restauré par Rochesson et Prince sous la direction de Brunold : en 1934, la nef et le clocher sont anéantis par un incendie. L'orgue, évidemment, n'y survit pas, et, quelques années plus tard, on charge Rochesson de construire un orgue neuf dans la nouvelle nef (seul le chœur gothique a résisté au sinistre). Le montage de l'orgue est achevé par les établissements Beuchet-Debierre (avec qui travaillait alors le facteur Pontoisien), et l'harmonie réalisée par Aussourd (qui a signé entre autres la remarquable harmonisation du grand-orgue de la cathédrale d'Angoulême). Le nouvel orgue de Saint-Nicaise est purement néoclassique, dans la veine de Gonzalez : les Gambes et Flûtes harmoniques côtoient des mutations et mixtures (splendides), la console est très confortable avec ses transmissions électropneumatiques, ses dominos et ses accouplements d'octaves. L'orgue est ainsi composé :
Grand-Orgue :

Bourdon 16
Montre 8
Bourdon 8
Flûte harmonique 8
Salicional 8
Prestant 4
Nasard 2 2/3
Doublette 2
Fourniture 3 r.
Cymbale 4 r.
Trompette 8
Clairon 4

Positif :

Bourdon 8
Flûte 8
Prestant 4
Nasard 2 2/3
Quarte de Nasard 2
Tierce 1 3/5
Cornet (appel)
Fourniture 2 r.
Cymbale 3 r.
Trompette 8
Cromorne 8

Récit expressif :

Principal 8
Cor de nuit 8
Viole de gambe 8
Voix céleste 8
Flûte octaviante 4
Viole 4
Octavin 2
Plein-Jeu 3-5 r.
Cornet de Récit 5 r.
Bombarde 16
Trompette 8
Basson-Hautbois 8
Voix humaine 8
Clairon 4

Pédale :

Soubasse 32
Flûte 16
Soubasse 16
Flûte 8
Basse 8
Flûte 4
Bombarde 16
Trompette 8
Clairon 4

Tirasses : GO, Positif, Récit à l'unisson, Récit à l'octave aiguë. Accouplements Positif/GO, Récit/GO à l'unisson, Récit/GO à l'octave grave, Récit/Positif. Octaves graves et aiguës du Récit. Appel d'anches à chaque plan sonore. Trémolo Récit.

On remarque un Positif composé dans le style des orgues classiques français : la Flûte 8 a été préférée à la Flûte 4, le couple Fourniture-Cymbale est bien présent, au contraire de bon nombres d'instruments néoclassiques dans lesquels la Cymbale se retrouve bien souvent "orpheline"... Le Récit comporte un 2e 4 pieds gambé, ce qui devient rare à une époque où les jeux de ce type tendent à disparaître.
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Rouen, Saint-Nicaise - la remarquable nef style Art Déco. Le grand-orgue Rochesson, intégré aux parois, semble faire corps avec l'église (photo Virgile Monin).
La splendide église Saint-Nicaise, avec ses magnifiques vitraux de Max Ingrand et son dôme, est actuellement fermée au public par mesure de sécurité. Il est à souhaiter que sa possible réaffectation  permette de conserver cet ensemble architectural insolite, magnifique et unique, ce qui permettrait de faire davantage connaître son orgue (ses orgues : il y a un orgue de chœur, de Rochesson également). Quelques enregistrements de l’orgue de tribune sont disponibles sur YouTube (et un autre sur SoundCloud), mettant en valeur son incroyable palette sonore, qui rend incontestablement justice à cette esthétique encore trop décriée qu'est l'esthétique néoclassique.

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